L’instant d’aimer Quels sont les liens entre
L’instant d’aimer
Quels sont les liens entre amour et compréhension ? Il s’agit avant tout de bien s’entendre sur les termes : qu’est-ce qu’un véritable amour et comment y accéder ? Voici un enseignement de Thich Nhat Hanh qui nous éclairera.
Par Thich Nhat Hanh La compréhension et l’ amour ne sont
pas deux choses distinctes mais une seule et même chose. Imaginez que
votre fils se réveille un matin et s’aperçoive qu’il est déjà tard. Il
décide de réveiller sa petite sœur, afin qu’elle ait le temps de
prendre son petit déjeuner avant de se rendre à l’école. Il se trouve
qu’ elle est de mauvaise humeur et qu’au lieu de dire : « Merci de
m’avoir réveillée », elle dit : « Tais-toi ! Laisse-moi tranquille ! »
et lui donne un coup. Il va probablement se fâcher, pensant : « Je l’ai
gentiment réveillée. Pourquoi donc m’a-t-elle frappé ? » . Il aura
peut-être envie de venir dans la cuisine vous en parler, ou même de lui
rendre son coup.
Mais alors il se souvient que sa sœur a beaucoup toussé pendant la nuit
et il se dit qu’elle doit être malade. Elle s’est peut-être comportée
ainsi à cause de cela. A ce moment précis, il comprend et n’est plus
fâché du tout. Lorsque vous comprenez, vous ne pouvez vous empêcher
d’aimer. Vous ne pouvez plus vous fâcher. Pour développer la
compréhension, il faut vous exercer à regarder tous les êtres vivants
avec les yeux de la compassion. Comprenant, vous ne pouvez pas vous
empêcher d’aimer et, aimant, vous agissez naturellement de manière à
soulager la souffrance de l’autre. Il nous faut vraiment comprendre la
personne que l’on veut aimer.
Si notre amour n’est que désir de possession, ce n’est pas de l’amour.
Si nous ne pensons qu’à nous-mêmes, si nous ne reconnaissons que nos
propres besoins et ignorons ceux de l’autre, nous ne pouvons aimer.
Nous devons regarder profondément afin de voir et comprendre les
besoins, les aspirations et la souffrance de la personne qu’on dit
aimer. C’est cela le fondement du véritable amour. Il est impossible de
ne pas aimer quelqu’un qu’on comprend vraiment.
De temps à autre, asseyez-vous près de l’être aimé, prenez sa main et
demandez : « Mon amour, est-ce que je te comprends assez ? Ou est-ce
que je te fais souffrir ? Je te prie de me le dire afin que je puisse
apprendre à t’aimer de façon juste. Je ne veux pas te faire souffrir et
si je le fais à cause de mon ignorance, je te prie de me le dire afin
que je puisse t’aimer mieux et que tu sois heureuse. » Si vous dites
cela sur un ton qui transmette une véritable ouverture à la
compréhension, l’autre se mettra peut-être à pleurer. C’est bon signe,
car cela signifie que la porte de la compréhension s’ouvre et que tout
sera à nouveau possible. Un père peut ne pas avoir le temps ou
ne pas être assez courageux pour poser une telle question à son fils.
Alors l’amour entre eux n’aura pas la complétude qu’il pourrait avoir.
Nous avons besoin de courage pour poser ces questions et si nous ne les
posons pas, plus nous croyons aimer plus nous risquons de détruire ceux
que nous essayons d’aimer. Le véritable amour a besoin de
compréhension. Avec la compréhension, l’être aimé s’épanouira sans
aucun doute. L’amour est un état d’esprit qui
apporte paix, joie et bonheur. La compassion est un état d’esprit qui
ôte à l’autre sa souffrance. Chacun de nous porte en soi les graines
d’amour et de compassion et peut développer les merveilleuses sources
de leur énergie. Nous pouvons nourrir l’amour inconditionnel, qui
n’attend rien en retour et donc ne génère ni anxiété ni souffrance. L’essence de l’amour et de la
compassion est la compréhension, la capacité de reconnaître les
souffrances physiques, matérielles et psychologiques d’autrui, de nous
mettre dans la peau de l’autre. Nous pénétrons son corps, ses
sentiments et ses formations mentales et ressentons en nous sa
souffrance. L’observation extérieure creuse, faite en étranger, ne
suffit pas à la déceler. Nous devons ne faire qu’un avec l’objet de
notre observation. Étant en contact avec la souffrance d’autrui il naît
en nous un sentiment de compassion. Être compatissant veut
littéralement dire souffrir avec. Nous commençons par choisir comme objet
de méditation une personne soumise à des souffrances physiques ou
matérielles, quelqu’un qui est faible et facilement malade, pauvre ou
opprimé, ou sans protection. Ce type de souffrance est facilement
décelable. Ensuite nous pouvons nous exercer à rentrer en contact avec
des formes de souffrances plus subtiles. Ces personnes ne peuvent pas
du tout avoir l’air de souffrir, mais nous pouvons remarquer chez elles
des souffrances ayant laissé des traces cachées. Ceux qui possèdent
matériellement plus que le nécessaire souffrent également. Nous
regardons en profondeur la personne qui est l’objet de la méditation
sur la compassion, pendant la méditation assise et après, étant
réellement en contact avec elle. Nous devons nous accorder suffisamment
de temps pour arriver à un contact vraiment profond avec sa souffrance
et poursuivre l’observation jusqu’à ce que la compassion naisse et se
répande en notre être. Le fruit de ce type d’observation
profonde, de méditation, se transformce tout naturellement en action.
Nous ne nous contenterons pas de dire, « J’aime beaucoup cette
personne », mais dirons aussi : « J’agirai de sorte qu’elle souffre
moins. » Il n’y a d’esprit de compassion véritable que celui qui incite
à soulager la souffrance d’autrui. Nous devons trouver des façons de
nourrir et d’exprimer notre compassion. Quand nous entrons en contact
avec quelqu’un, nos pensées et nos actes doivent véhiculer notre
compassion, même si cette personne dit et fait des choses difficiles à
accepter. Nous nous exerçons à la compassion jusqu’au moment où nous
voyons clairement que notre amour pour l’ autre ne dépend en rien de
son amabilité. Si tel est le cas, nous savons que notre esprit de
compassion est fort et authentique. Nous serons nous-mêmes plus à
l’aise et la personne qui a été l’objet de notre méditation finira par
en bénéficier. Sa souffrance diminuera lentement et sa vie, grâce à
notre compassion, sera progressivement plus radieuse et plus joyeuse. Nous pouvons également méditer sur la
souffrance de ceux qui nous font souffrir. Quiconque fait souffrir
souffre indubitablement aussi. Il suffit que nous soyons attentif à
notre respiration et que nous regardions profondément pour que la
souffrance de quelqu’un nous devienne perceptible. Ses difficultés et
ses peines peuvcnt avoir été engendrées en partie par la maladresse de
ses parents alors qu’il était enfant. Mais ses parents peuvent à leur
tour avoir été victimes de leurs propres parents ; la souffrance s’est
transmise de génération en génération et s’est finalement incarnée en
lui. Si nous percevons ce processus, nous ne lui reprocherons plus de
nous faire souffrir, ayant compris que lui aussi est une victime.
Regarder profondément donne la compréhension. Et une fois comprises les
raisons pour lesquelles il s’est mal comporté, notre ressentiment
disparaîtra et nous aspirerons à le voir souffrir moins. Nous nous
sentirons calmes et légers et nous sourirons. L’autre n’a pas besoin
d’être présent pour la réconciliation avec nous-mêmes. Le fait de
regarder en profondeur suffit à l’engendrer. Et le problème cesse
aussitôt d’exister. Un jour ou l’autre cette personne découvrira notre
attitude et partagera le pouvoir régénérateur du flot d’amour qui
s’épanche de notre cœur. L’esprit d’amour apporte paix, joie et
bonheur à nous-mêmes et à autrui ; l’observation attentive est
l’élément qui nourrit l’arbre de la compréhension dont les plus belles
fleurs sont l’amour et la compassion. Pour réaliser l’esprit d’amour
nous devons aller vers la personne qui a fait l’objet de notre
observation, de sorte qu’il ne reste pas seulement un fruit de notre
imagination mais devienne source d’énergie capable d’abreuver le monde.
Méditer sur l’amour ce n’est pas se contenter de rester assis sans
bouger à visualiser notre amour qui se répand dans l’espace, comme des
ondes sonores et lumineuses. De même que le son et la lumière pénètrent
partout, ainsi le font l’amour et la compassion. Mais si notre amour
est purement imaginaire, il y a peu de chance qu’il ait quelque réel
pouvoir. C’est dans la vie quotidienne même et le contact réel avec
autrui que nous pouvons tester l’esprit d’amour, savoir s’il existe
vraiment et évaluer son degré de stabilité. L’amour réel est visible
dans notre vie courante, dans notre comportement vis-à-vis d’autrui et
du monde. L’amour prend sa source profondément en nous et nous pouvons
aider autrui à être très heureux. Une parole, un acte ou une pensée ont
le pouvoir de réduire la souffrance de quelqu’un et lui donner la joie.
Une parole peut apporter réconfort et confiance, détruire le doute,
éviter à quelqu’un de commettre une erreur, résoudre un conflit ou
ouvrir la porte de la libération. Un geste peut sauver la vie de
quelqu’un ou lui permettre de saisir une occasion rare. Et il en est de
même d’une seule pensée, car toute pensée conduit à parler et à agir.
Si l’amour est dans notre cœur, chaque pensée parole ou acte peut
opérer un prodige. La compréhension étant le fondement même de l’amour,
les paroles et les actions qui en procèdent sont toujours d’une grande
aide. Nous savons que si notre cœur s’arrête
de battre la vie cessera d’y couler, donc nous le choyons. Mais nous
prenons rarement le temps de regarder que d’autres éléments, mais
extérieurs, sont également essentiels à notre survie. Voyez l’immense
source lumineuse appelée soleil. S’il cessait de luire, notre vie
cesserait elle aussi, le soleil est donc un deuxième cœur pour nous,
mais extérieur à notre corps. Ce cœur immense apporte la chaleur
nécessaire à toute vie sur terre ; sans lui rien ne pourrait exister.
Les plantes vivent grâce au soleil. Leurs feuilles absorbent son
énergie, comme le dioxyde de carbone de l’air, pour nourrir l’arbre, la
fleur, le plancton. Et les plantes rendent possible la vie humaine et
animale. Tous - nous, les êtres humains, les animaux et les plantes -
consommons de la lumière solaire, directement ou indirectement. Il
serait trop long de décrire tous les effets du soleil, ce grand cœur à
l’ extérieur du corps de l’homme.
Notre corps n’est pas seulement la forme délimitée par la peau. Il est
bien plus vaste. Il inclut même la couche d’air autour de notre
planète ; car si l’atmosphère disparaissait rien que pour un instant,
notre vie prendrait fin. Chaque phénomène dans l’univers nous concerne,
du caillou au fond de l’océan jusqu’au mouvement des galaxies,
distantes de la Terre de millions d’années lumière. Walt Whitman a
écrit « Je pense qu’un brin d’herbe ne compte pas moins que le labeur
des étoiles... ». Ce n’est pas là de la philosophie. Ces mots sont nés
au tréfonds de son âme. Il a dit aussi : « Je suis vaste, je contiens
des multitudes. » Assis à table et voyant notre assiette
pleine de nourriture qui sent bon, appétissante, nous pouvons nourrir
notre conscience de l’amère douleur de ceux qui ont faim. Quarante
mille enfants meurent chaque jour de faim et de carence d’éléments
nutritifs. Chaque jour. Ce chiffre nous choque chaque fois que nous
l’entendons. Regardant profondément dans notre assiette, nous pouvons
« voir » notre mère, la Terre, les paysans et la tragédie de la faim et
de la malnutrition. Nous qui vivons en Amérique du Nord ou
en Europe, nous sommes habitués à manger des céréales et autres
aliments importés du Tiers-Monde, le café de la Colombie, le chocolat
du Ghana ou le riz aromatique de Thaïlande. Nous devons savoir que les
enfants de ces pays-là, hormis ceux des familles riches, ne voient
jamais ces produits chez eux. Ils ne mangent que des produits de second
ordre, les plus délicieux étant réservés à l’exportation pour faire
rentrer des devises. Il y a même des parents qui, n’ayant pas les
moyens de nourrir leurs enfants, doivent se résigner à les vendre comme
domestiques à des familles qui, elles, ont de quoi les nourrir.
Avant les repas, nous pouvons joindre les paumes des mains dans un
geste de pleine conscience et penser aux enfants qui n’ont pas de quoi
manger. Ce geste nous aide à nous maintenir conscient de notre chance,
et peut-être un jour trouverons-nous des moyens pour contribuer à
changer le système d’injustice qui règne dans le monde. Dans nombre de
familles de réfugiés, un enfant lève son bol de riz et dit plus ou
moins ceci : « Aujourd’hui, sur la table, il y a beaucoup de mets
délicieux. Je suis reconnaissant d’être ici avec ma famille à pouvoir
les apprécier. Je sais qu’il existe tellement d’enfants moins chanceux
qui ont très faim ». Étant un réfugié, il sait, par exemple, que la
plupart des enfants thaïs n’ont jamais l’occasion de contempler ce bon
riz qui pousse dans leur pays et qu’il est sur le point de manger. Il
est difficile d’expliquer aux enfants des pays « sur-développés » que
dans le monde beaucoup d’enfants sont privés d’une nourriture si belle
et si nourrissante. Avoir conscience de ce fait suffit à dépasser
nombre de nos souffrances psychiques. Notre méditation peut finalement
nous permettre de voir la nature de l’aide à apporter à ceux qui sont
tellement démunis. Nous avons besoin d’harmonie, de paix.
La paix est fondée sur le respect de la vie, la vénération profonde de
la vie. Mais outre la vie humaine, nous devons respecter la vie
animale, végétale et minérale. Les rochers peuvent être dotés de vie.
On peut détruire aussi la Terre. La dégradation de notre santé est liée
à la destruction du monde minéral. La manière de cultiver la terre, le
traitement des ordures, tout cela est inter-relié. L’écologie doit être profonde, et non
seulement profonde, mais universelle, car ce sont les consciences qui
sont polluées. La télévision, par exemple, nous pollue et pollue nos
enfants. Elle sème des graines de violence et d’inquiétude dans
l’esprit de nos enfants et dégrade leur conscience, de la même manière
que les produits chimiques et les arbres que l’on coupe détruisent
l’environnement. Nous devons protéger l’écologie de l’esprit, sinon la
violence et l’insouciance dans ce domaine continueront à déborder dans
bien des domaines de la vie. Que faire quand nous avons blessé
quelqu’un qui nous considère maintenant comme son ennemi ? La personne
peut appartenir à notre famille, à notre communauté ou à un autre pays.
Je pense que vous connaissez la réponse. Il faut commencer par prendre
le temps de dire : « Je suis désolé, je t’ai peiné par ignorance, par
manque d’attention, ou d’adresse. Je ferai de mon mieux pour changer,
je n’ose rien te dire de plus. ». Il arrive que nous n’ayons pas
l’intention de peiner quelqu’un, que nous le fassions par manque
d’attention ou de maladresse. Il est important que nous soyons
vigilants dans la vie quotidienne, de prononcer des paroles qui ne
blessent pas. Il faut ensuite tenter de faire monter en nous le
meilleur de nous même, la fleur ; de nous transformer. C’est le seul
moyen de prouver la sincérité de vos paroles. Quand vous serez
régénéré, devenu agréable, l’autre ne tardera pas à le remarquer. Par
la suite, chaque fois que vous aurez l’occasion de l’approcher, vous
viendrez à lui comme fleur et il notera tout de suite que vous avez
beaucoup changé. Peut-être ne sera-t-il même pas utile que vous
parliez. Vous voir ainsi lui suffira, il vous acceptera et vous
pardonnera. C’est « parler avec sa vie et pas seulement avec des mots »
comme on dit. Lorsque vous commencez à voir la souffrance chez votre
ennemi, c’est que votre vision s’est approfondie. Lorsque vous voyez en
vous le désir que cette personne ne souffre plus, c’est signe de vrai
amour. Mais prenez garde, on peut penser parfois être plus fort qu’on
ne l’est vraiment. Pour éprouver votre force, allez à l’autre pour
l’écouter et lui parler, vous saurez aussitôt si votre amour
compatissant est authentique ou non. Vous avez besoin de l’autre pour
le découvrir. Si vous vous contentez de méditer quelques principes
abstraits comme la compréhension ou l’amour, ce peut-être seulement de
la compréhension ou de l’amour imaginaires.
Se réconcilier ne veut pas dire signer un traité hypocrite et cruel. La
réconciliation s’oppose à toute forme d’ambition et ne prend aucun
parti. La plupart d’entre nous choisissent leur camp en tout combat ou
conflit. Nous distinguons entre le bien et le mal sur la base de
preuves partielles ou d’ ouï-dire. Pour agir l’indignation est
nécessaire, mais une indignation, même justifiée et légitime, ne suffit
pas. Notre monde compte suffisamment de gens prêts à se jeter dans
l’action par indignation. Ce dont il a besoin c’est de personnes
capables d’amour, qui ne choisissent pas leur camp et donc peuvent
avoir une vision globale de la réalité. Nous devons continuer à pratiquer la
pleine conscience et la réconciliation jusqu’au jour où nous verrons en
l’enfant décharné et squelettique d’Ouganda ou d’Éthiopie notre propre
enfant, jusqu’au jour où la faim et la souffrance de toute espèce de
vie seront devenues nôtres. Alors nous verrons tous les êtres avec les
yeux de la compassion et nous pourrons véritablement oeuvrer à
l’allégement de la souffrance. Extrait de « La Sérénité de l’instant » (Paix et joie à chaque pas) 1992
Traduction Sterling Collins et Marie-Béatrice Jehl.
Texte reproduit avec l’aimable permission des Editions Dangles (source:buddhaline.net)
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